samedi 28 mars 2015

ATRIA


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Irewiss lance un coup d'oeil par dessus son épaule. Tout autour d'elle est blanc et légèrement irisé de bleu. Neige et cristal mêlés.

Cours, ne t'arrêtes pas !

Elle trébuche sur un énorme morceau de cristal, se rattrape de justesse, poursuit sa course et accélère, du sang dans la bouche, des cendres sur les mains. Et le ciel se tasse par endroits. Dans quelques secondes elle sera à bout de souffle et les choses vont grandement se compliquer. Ça se déplace beaucoup trop vite. Elle sait qu'elle n'a pas la moindre chance de le distancer. Quelques secondes et ce qui se trouve là bas... Comment s'appelle ce truc déjà ? 

Plus vite ! 

Sa tête n'en finit plus de virer ; gauche, droite, les yeux écarquillés. Aucun abri. Devant elle la plaine indifférente n'offre qu'un spectacle figé, froid et lisse. Elle a mit suffisamment de distance entre elle et le carnage pour que les congères repoussent au delà de l'horizon ce qui arrive lancé à sa poursuite comme un train à pleine vitesse. Un dernier regard derrière elle, vers le site d'excavation en flammes : pas de retour possible. Sur sa main gauche le sang file un battement après l'autre. Ses doigts se serrent péniblement sur le petit mécanisme convexe lové dans sa paume. Comment fuir ?

Allez, ALLEZ BON SANG ! Réfléchis !

Elle traverse la zone d'ancrage. Ici le cristal se fait plus dense, la végétation plus fournie a été entièrement couverte, ou plutôt changée. Impossible de ralentir, elle fait de son mieux pour prendre appui sur chaque parcelle de neige durcie. Ne pas glisser. Surtout ne pas perdre l'équilibre. Ses crampons raclent en chœur dans un dénivelé traître. Son corps oscille pitoyablement et l'image de sa propre chute dans une position ridicule lui arrache un sourire fou. Elle rit presque au milieu des souffles rauques. C'est là qu'elle entend la première explosion sourde, celle de l'air qui s'engouffre dans le vide d'un corps qui disparait. Un long fourmillement de révulsion caresse ses jambes et son dos, court sur son ventre et plante dans sa poitrine des dents voraces. Un passeur, c'est ça.

Des larmes viennent maintenant. Mourir finalement ce n'est pas effrayant, c'est énervant. C'est décevant. Lorsque l'antichambre est là autour de vous, les émotions superflues s'évanouissent. Ne reste que la joie d'être en vie, et la rage chevillée au cœur de la perdre. Le ciel se serre d'avantage et craque quelque part ailleurs, loin au delà du cercle de la zone vitrifiée...

Ces maudites zones d'ancrage infestent le pays, viennent et repartent comme des orages d'été. Si on se trouve dans leur emprise quand elles apparaissent...

...maintenant qu'elle y repense ce bloc de cristal ressemblait fortement au torse d'un homme.

Elle pense soudain à ses amis, ses parents... Que vont-ils faire sans elle ? Ils ne survivront jamais seuls. Et si jamais le passeur remontait ses traces jusqu'au campement ? Ils seraient tous morts ce soir... Elle ne peut pas laisser ça arriver.

Elle évalue en un instant la distance qui la sépare du centre de la zone circulaire. Elle n'est pas tellement loin de l'ancre, l'énorme sphère miroitante qui siège au milieu. Elle tient un début d'idée. Une idée tellement dingue qu'elle ne sait pas vraiment si la panique ne lui a pas simplement grillé le cerveau.

On ne s'approche pas de l'ancre.

A moins bien sûr d'être suicidaire mais... même avec un Shanti, on ne s'approche pas de l'ancre. Jamais. Elle change donc la direction de sa course et s'y dirige tout droit.


Une seconde explosion beaucoup plus proche se fait entendre, elle estime que le passeur est en bordure de la zone d'ancrage. Peut être deux cent mètres derrière elle... à peine. Une fois qu'il jugera la distance raisonnable, il la traquera au sol. Ces choses vous terrorisent de loin et vous mettent en pièces de près, sans se fatiguer, mais ils conservent inexplicablement l'archaïsme de la chasse à court dans la phase précédant la mise à mort.

Chaque souffle est un râle hystérique, féroce et vaporeux dans l'air froid. Trop fatiguée, c'est son âme qui se fait la belle dans des volutes glacées. Elle se demande combien de buée il lui reste à expirer avant que tout s'arrête.

Non... non NON ! COURS ! ALLEZ BORDEL !

Encore une explosion. Il est là. L'ombre immense et longiligne de ses bras s'allonge vers elle. Mauvais calcul. Avec ce dernier saut il s'est déplacé bien plus près d'elle qu'ils ne le font habituellement. La terreur contrôle maintenant ses jambes, elle s'effondre et son élan l'entraîne, à genoux, sur quelques centimètres. Entre les larmes elle perçoit  la sphère brillante et parfaite de l'ancre. Si proche, si loin. C'est fini.

A moins que...

Avec un hurlement dément elle se retourne et active son Shanti. Le bouclier se forme devant elle et les griffes gigantesques du passeur rebondissent sur le plasma. Trop sûr de lui, certain d'avoir déjà capturé sa proie, il n'a pas mis toute sa force dans ce coup. L'onde de choc générée la projette en l'air et lui coupe le souffle. Quarante mètres plus loin l'atterrissage est violent mais le bouclier tient bon et absorbe une partie du choc.

DEBOUT !

Comme un pantin désarticulé elle roule et dégringole le long d'une pente légère. Un arbre cristallisé se brise et forme un nuage d'éclats élégants autour d'elle.

DEBOUT ! LÈVE TOI ! LES FARALHAN MEURENT DEBOUT !

Elle parvient à freiner sa chute vaguement, ses crampons entonnent une note aiguë sur le cristal et à peine a-t-elle commencé à se redresser que l'ombre est déjà sur elle. Au travers de la brume nébuleuse elle distingue à peine le corps immense, informe. Des miroirs éteints la fixent. Le reflet argenté des yeux du changeur de monde, le passeur des âmes. Le bras gigantesque couvert d'un cuir grisâtre et glabre s'élève à nouveau et claque comme un fouet. 

A nouveau trop confiant, le passeur n'a pas remarqué... L'ancre se trouve à présent juste derrière Irewiss. A dix mètres à peine.



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