lundi 13 avril 2015

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Alors vous pensez que nous n'avons aucune importance. Que nous sommes juste des petits grains de sables inutiles et que nous n'avons aucune influence sur l'univers.  Vous pensez que la terre est juste un bout de caillou suspendu dans l'espace. Posé là sans raison. Vous vous plantez.

Vous pensez que le danger c'est le réchauffement climatique. Que l'humanité court à sa perte à cause de sa cupidité. Que nous finirons comme des marionnettes de carnaval sous le feu nucléaire. Vous vous plantez encore.

Vous pensez que dieu vous regarde et qu'il vous juge. Encore faux.

Quoi que... attendez, ça dépend ce que vous appelez dieu ?

Enfin de toutes façons, les faits sont là. Tout a une place, tout a un sens, vous ne le voyez peut être pas mais si vous appuyez sur vos yeux fermés suffisamment longtemps, vous verrez. Le danger c'est nous. Ce n'est pas notre société, ni nos croyances. Non, c'est simplement ce que nous portons en nous : dans ce pouvoir repose notre extinction.



Huei-Chi Wen, Bible du nouveau monde - 2030.





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Il doit être minuit. Il y a un clocher qui marmonne quelque part dans le ciel opaque. Des cloches recyclées, ou peut être extirpées à la poussière d'un musée. 

"Entre et ferme la porte derrière toi."

La voix est grave, profonde et puissante, la guerre n'y a laissé aucune trace.

"Claaang !" insiste le temps.

Un revers de la main pour ajuster son caban. Elle s'élance et ses bottes crissent nerveusement. Le lourd battant claque derrière elle. L'embrasure disparaît happée par l'obscurité et le calme.

"Grand père je...
— Manières jeune fille"

Le rappel à l'ordre lui claque à la figure comme un piège à loup. Les yeux fermés elle articule un "Et Meeerde". Prometteur. La pièce familière lui semble aujourd'hui trop grande, même le foyer ouvert ; habillé de ferronneries délicates ; signe d'une époque révolue, n'a rien de son habituelle chaleur rassurante. Une silhouette massive découpe les flammes mourantes à coups d'épaules carrées. Tourné vers l'âtre il n'a même pas un regard pour elle.

"La paix dans nos coeurs, souffle monotonement Irewiss.
— Comme sur Atria, achève Rodric.
— Je suis heureuse de vous revoir, reprend elle sur le ton où il l'avait coupée."

Un courte pause, elle reste là, interdite.

Des broussailles de sourcils blancs s'animent quand il daigne enfin se tourner, bouche cadenassée, les plis barrant son front à peine adoucis par la tendresse de son regard. Et bien évidemment il fallait qu'elle se présente devant lui blessée : un bandage de fortune accroché à la main. Quelques dizaines d'années auparavant un simple cicatrisant et c'était terminé... aujourd'hui même les pansements étaient devenus un luxe.

Qu'avait-elle inventé cette fois ? Le mois dernier c'était une conduite d'aération qui s'était effondrée sous son poids, elle observait des chauves souris. À peine rétablie le bras de son tuteur avait fait les frais d'une "démonstration de la transmission des énergies". Autour des yeux du vieil homme les broussailles se serrent, tristement exaspérées.

"Tu as des questions plein les yeux jeune fille, dit-il en tirant vers lui un fauteuil en cuir. Peut être as-tu aussi des réponses ? grince-t-il en montrant du doigt le bras coupable"

Irewiss avance timidement à sa rencontre. Elle s'abrite au creux de ses bras puissants. Il la serre un moment qui dure une éternité.

La cheminée proteste et craque mollement puis se tait. Les ombres dansent toujours mais les flammes déclinent rougeâtres cernées de bleu, transparentes. Elle saisit un fauteuil à son tour et les voilà côte à côte autour du foyer circulaire.
"Vous savez pourquoi je suis là, risque-t-elle, j'ai choisi.
— Oh je sais, je sais, j'ai déjà reçu la lettre de ton tuteur, annonce nonchalamment Rodric en secouant la main deux petites fois en direction du pupitre.
— Vous n'approuvez pas, dit-t-elle comme une évidence.
— Cela changerait-il ta décision ? demande le gouverneur.
— Non... je voulais simplement... votre soutien, marmonne sa petite fille péniblement."

Une minuscule constellation d'étincelles rouges s'élève dans le foyer puis disparaît dans un monde invisible. Sur le mur en face, les portraits de la famille Faralhan, occupent quasiment toute la largeur. Connétables, généraux, hommes de science - majestueux souvenirs d'une lignée prodigieuse - Et tout au milieu, dans un cadre abimé, sous le vernis craquelé d'une antique peinture, la cité de Lonis déploie l'albâtre de ses immuables remparts. Dans l'arrière plan les parois de métal d'immenses tours parfaitement lisses renvoient des reflets meurtriers. "Les boucliers..." pense Irewiss

"Tu as toujours mon soutien gamine, lance-t-il, l'oeil rieur.
— Même si je botte les fesses du grand benêt des Nïahs au kendo ?
— Ah c'est donc ça ? devine-t-il, baissant les yeux sur le morceau de chemise enroulé sur sa main.
— Hein ? non non, ça c'est une piqûre d'Engourdine. Vous saviez qu'on n'en trouve de plus en plus en bordure du dôme ? Elles sont..."
Le rire incrédule du vieux sage l'interrompt à nouveau "Je ne veux pas savoir ce que tu fais avec tes satanés plantes venimeuses, dit-il feignant à peine la lassitude lorsque sa main vient soutenir sa tête."

Rodric a toujours détesté les poncifs, mais à cet instant cela lui crève tellement les yeux : Irewiss est tout comme sa mère, la curiosité et l'insouciance catapultées sur deux jambes élastiques, fines et nerveuses comme la foudre. Au dessus de ses yeux une broussaille joue l'inquiétude, tandis que l'autre ne sait plus trop où naviguer entre la tristesse la nostalgie l'affection.

"Il ne m'arrivera rien, assure-t-elle, je suis en âge d'affronter l'extérieur depuis trois ans déjà.
— Oh l'âge, l'âge n'a rien à voir là dedans... J'avais la moitié du tien quand on m'a enrôlé de force pour défendre la ville contre les pillards. On pouvait encore se former à l'épreuve du feu, mais aujourd'hui, il marque un temps les yeux fixés sur le foyer essoufflé, aujourd'hui on ne sait même pas ce qui se passe réellement dehors.
 — Je cours toujours plus vite que les ennuis, dit-elle un sourire paisible en coin, sans insolence, plutôt comme une douce certitude ; comme s'il fallait apaiser non pas seulement son grand père, mais aussi gagner la confiance de tous les regards silencieux qui la fixaient solennellement depuis le mur en face. Ils ont besoin de plus d'effectifs et je peux aider dans n'importe quel régiment.
— Qui essayes-tu de convaincre Irewiss ? Pas moi j'espère ? J'ai déjà été voir les officiers du contingent d'exploration, leur décision était déjà prise, mais je voulais m'assurer que tu serais entre de bonnes mains.
— Vous avez... quoi !?
— Tu feras partie du septième groupe, tu pars la semaine prochaine, annonce-t-il satisfait."

Elle sursaute légèrement dans une inspiration de surprise comme si elle avait oublié que demain, ça y est, c'était son anniversaire.

"Mais je n'ai pas encore... les dernières épreuves ? Et le passage en revue... balbutie-t-elle.
— Comme tu l'as déjà deviné le temps commence à manquer, nous avons des difficultés pour maintenir ne serait-ce qu'un éclairage décent depuis plusieurs mois, soupire Rodric. Que ce soit bien clair, ce poste t'a été attribué parce que tu le mérites, je n'ai même pas pas été présent lors des sélections."

Il détourne légèrement le regard et Irewiss sent que, quoi qu'il ait bien pu arriver pour que son grand père s'absente du conseil, même temporairement, la gravité de la situation est telle qu'il ne veut pas évoquer le sujet. Elle sent la question lui brûler le bout des doigts mais ses mains se referment sur l'accoudoir en cuir rassurant - peut être une prochaine fois.

Une barbe longue, élégante, glorieusement allongée sur son torse, des broussailles de sourcils blancs, un front qui s'avance jusqu'au milieu d'un crâne couronné d'une crinière neigeuse. Rodric est à l'hiver de ses jours, mais un hiver vivace, dont on sent qu'il peut encore mordre avec le froid de l'acier.


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